L’auteur, psychologue clinicien, aujourd’hui formateur en travail social, a derrière lui vingt-quatre ans d’expérience à l’Aide Social à l’Enfance et à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. En 1995 il a participé à la création d’un placement familial pour des adolescents désignés comme « incasables ». Encore un ouvrage sur l’adolescence, s’offusquera-t-on ! Pourtant cet ouvrage emporte notre adhésion sur un point : il est issu d’une pratique auprès d’adolescents. Claude Bynau en tire une série de leçons tout à fait précieuses pour un clinicien qu’il soit éducateur ou psychologue. Il ne faut pas se précipiter trop vite sur les symptômes et troubles du comportement que peuvent présenter – et de façon parfois très bruyante ou provocatrice- les dits adolescents, pour les faire taire. Les prise en charge réclament une attention particulière, où la relation engagée est première. Relation qui ne va pas sans heurts ou sans conflit. La relation aux adolescents n’a rien d’une croisière pour le troisième âge ! Il s’agit de penser l’accompagnement au plus près de chaque cas, dans de petites unités souples et mobiles où la circulation entre le dedans et le dehors institutionnel est garanti. La transmission des limites ne saurait se faire dans la rigidité, mais au contraire dans la rigueur. Les limites dont ont besoin les adolescents, et que d’une certaine façon ils réclament à hauts cris, passent par une humanisation de la loi. L’adulte souvent poussé dans ses retranchements est convoqué à soutenir cette position sur un mode de douce fermeté, s’il l’on peut dire. Evidemment un tel ouvrage va à l’encontre des dernières préconisations du Ministère de La Justice sur l’enfermement des jeunes difficiles. L’enfermement n’est pas la fermeté. Ces jeunes cherchent des adultes à qui parler, ils cherchent du répondant. Le seul reproche que l’on puisse faire à l’auteur c’est qu’il s’appuie sur des repères théoriques, certes sympathiques, mais un peu vieillots et suranné. Flavigny, Chartier et consorts, c’est bien joli, très humaniste bon teint, mais ça ne suffit pas pour asseoir une pratique éclairée. L’approche de la psychanalyse dans ses récentes avancées est par trop négligée. Il faudrait envisager à partir des travaux de Freud et de Lacan l’adolescence comme ce temps de découverte par les adolescentss eux-mêmes de ce que Lacan épinglait comme « non-rapport sexuel ». Ce qui travaille les adolescents c’est bien la rencontre, parfois houleuse et décevante, de l’autre sexe. Autrement dit ils font l’expérience de ce que ça ne colle pas, de la foirade consubstantielle à l’humaine condition. C’est à partir de cette hypothèse que l’on peut envisager la compréhension des prétendus troubles du comportement, comme réaction à cette rencontre décevante. Les uns s’anesthésient dans la drogue ou l’alcool, ou tentent d’intervenir sur un corps qui leur échappe (piercing, sports extrêmes…), ou encore confient leur être à des idéologies féroces et extrémistes. On pourrait donc envisager les désordres de l’adolescence comme des modes de traitement par des sujets en devenir, de ce qui leur tombe sur les épaules. Il me semble que cette approche serait un peu plus prometteuse que d’en passer par des concepts totalement inopérants, si ce n’est réifiant, tels que « les incasables ».
Joseph ROUZEL, psychanalyste, formateur en travail social, directeur de PSYCHASOC