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De l’Acropole aux jardins de Babylone. Extrait du carnet de voyage d’une animatrice sociale…

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Véronique FRANCHETEAU

mardi 10 septembre 2019

De l’Acropole aux jardins de Babylone. Extrait du carnet de voyage d’une animatrice sociale…

 

 

Une réunion institutionnelle animée par le directeur… Bon. Trois par ans environ… Ça fait causer avant, ça fait chuchoter et ricaner pendant… et après ? Et après, la chape de plomb s’abat, on remet son uniforme de bon petit soldat, et on se consacre à l’essentiel de ce pour quoi on est là : accompagner quotidiennement des personnes fragilisées… Un diaporama, un discours ponctué d’une illusion de transparence, étriqué dans une droiture maladroite et peu maitrisée.

 

La réunion institutionnelle comme elle se déroule ici n’est guère plus qu’une antique invitation à venir écouter l’oracle déclamer les prémonitions de la Pythie : la grandiloquence de l’Avenir, un programme à suivre! L’agora reçoit. Bon, et il dit quoi le peuple? Pas grand chose, mais je suis certaine qu’il pense. Alors a quoi pense-t-il? Je pense à de la perte de sens, et je crois percevoir la résignation à recevoir une pluie d’informations formelles pensées non discutables… Et pourtant, les professionnels, ce sont les antes qui soutiennent le tympan, sans eux, le temple s’écroule! Alors quoi? Les cariatides se seraient elles fait dévorées par les méduses ou autres gorgones coupeuses de langues et au pouvoirs statufiants? Comme il est urgent de rassembler, de partager, et d’accompagner l’esprit critique pour l’animatrice sociale que je suis.

 

Et cette réunion alors ? Des réponses sur ce qui fait le quotidien des travailleurs de terrain ? Le sentiment d’insécurité, l’absence de reconnaissance, la pénibilité, l’urgence, l’absence de réponses, la procrastination… On n’en parle pas… Ni le directeur, ni les professionnels concernées… Des réponses concernant les situations critiques qui se multiplient chez les bénéficiaires de l’association ? « On sait, oui », mais on ne sait pas !

 

Mais ça cogite là-haut, « rassurez-vous ! » Bientôt vous serez tous réunis, vous travailleurs du sud du département, et alors nous vous conterons l’Avenir… Pas demain, non, l’Avenir, quand on pense là-haut, c’est dans 10 ans ! Dommage pour les inconditionnels de la locution d’Horace « carpe diem ». Dommage pour les vivants d’aujourd’hui, ici on ne cueille pas le jour, et on se cache bien de constater que les professionnels endossent volontiers la salopette du jardinier pour, chaque jours , maintenir la floraison des espèces rares et fragiles… Ce jardin, ils en connaissent chaque allées, ils aiment s’y promener, ils sont sensibles à la beauté des lieux, les parfums d’humanité qui en émanent. Le danger, lorsqu’on se promène seul, c’est de se perdre… 

 

Et voilà. Les rouleaux compresseurs institutionnels sont passés, et l’humain est regardé de loin, à travers des prismes financiers, et technocratiques. Dans leurs propos se glissent les concepts et valeurs humanistes de l’animation sociale, mais ceux-ci sont détournés, mal utilisés, bafoués… Je serre les dents, comme le reste de l’assemblée, je me tais… Et puis le naturel revient au galop, je la connais l’actualité du public, je suis avec chaque jour, je l’écoute, je recueille… Alors, je laisse les mots sortir et dire tout ce qui m’anime et me questionne…

 

Le monde change, on ne voit plus « les petites mains », les connaissances, le temps et la patience nécessaire, comme pour faire fleurir une orchidée. Non, aujourd’hui, ces fleurs, on se dit qu’elles peuvent très bien pousser sur un rond point! Cela s’appelle la transition inclusive…Oui, le monde change et cela devrait être bien. Quand on fait de l’animation sociale, on aime ça le mouvement! Je m’interroge alors sur l’évolution que je perçois sur les manières même de penser l’humain en difficulté… Fini les petits jardins bucoliques! Les lobbyistes ne se soucient guère de la singularité des savoirs-faire… La différence est affaire d’argent. Bientôt, nos petits jardiniers oublierons qu’ils ont à penser de panser les pensées, et les fleurs perdront petit à petit leur beauté singulière. 

 

Non Messieurs, la réflexion collective, ne peut être élitiste! Car c’est ce qui semble se passer de mon point de vue. On ne peut pas évoquer le participatif quand il s’agit seulement pour les travailleurs d’accueillir une restitution d’une réflexion qui a été mené par ceux « d’en haut ». Pas de concertation. Aujourd’hui, on nous dit comment faire et comment penser.

 

Alors je pourrais continuer dans mes métaphores mythologiques et horticoles (qui ne sont guère plus pour moi qu’un moyen de transcrire ce qui bouillonne dans mon coeur et dans ma tête). Je pourrais invoquer la colère des dieux, le soulèvement du peuple… Mais c’est en l’homme que j’ai envie de croire, en sa nature, en sa capacité à se réunir dans une forme de pensée collective, en sa capacité à agir collectivement. Je crois en l’humain capable d’innover ensemble sans annihiler les singularités, capable de les accueillir et les conscientiser comme complémentaires et ressources d’un pouvoir d’agir en groupe. Alors, telle une touriste intéressée et passionnée, j’immortaliserai l’évènement.

 

Véronique FRANCHETEAU, Coordinatrice Animation

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