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Conseillère en mission locale : un emploi virtuel ?

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mardi 12 octobre 2021

Conseillère en mission locale : un emploi virtuel ?

Avant toute chose je voudrai dire que lasse de mon activité professionnelle avec la perte de sens grandissante éprouvée, je me suis mise dans l’idée d’écrire. Un soir au moyen de mon smartphone je consulte le site de psychasoc et je tombe d’emblée sur l’interview de B.Cicchini datant de 2009 à propos du livre de Joseph Rouzel et de sa sœur Fanny «  Le travail social est un acte de résistance  » Hasard ? J’ai été surprise que ce texte d’emblée « apparaisse » sans plus de recherche que cela. Autre surprise ce texte est avant-gardiste bien sûr et aussi en partie visionnaire dans le sens « pessimiste » du terme. Joseph décrit le contexte du travail social à l’heure du néolibéralisme et ses effets sur les pratiques professionnelles. Il préconise les moyens d’y résister. Douze ans plus-tard est-il encore possible de résister ?

La fin imminente de l’activité professionnelle est souvent le temps du bilan avec la prise de recul qu’elle permet, une moindre pression bien sûr mais aussi une parole qui peut se libérer. Encore que...La menace d’une éventuelle sanction pèse encore même à six mois de la retraite. L’insidieuse soumission au travail a produit ses effets : la peur de parler, d’être sanctionnée, discréditée.

J’ai appris que parler était dangereux mais parfois l’inconscient agit en sourdine et alors mes paroles m’échappent.

On peut néanmoins plus aisément s’autoriser à porter une critique, une analyse a posteriori sur le sens du travail effectué, son évolution. Il est indéniable qu’en 35 ans d’activité les choses ont changé tant sur le plan économique, sociétal que des valeurs. Il s’en suit une modification et une adaptation permanente à tous ces changements pour répondre, nous dit-on à la crise économique et son lot de perturbateurs que sont le chômage, la précarité etc.

Cette évolution, ces changements se traduisent par une succession de « dispositifs » c’est ainsi que dans notre jargon nous nommons les missions qui nous sont dédiées. Lesdits dispositifs (je vous passe l’énumération par trop fastidieuse) sont évalués par des logiciels assortis d’un certain nombre d’items qu’il convient d’actionner : on clique sur telle ou telle proposition faite aux jeunes personnes que nous accueillons (nous lui avons parlé de recherche d’emploi = un clic, ou encore effectué une demande d’aide financière = un autre clic et ainsi de suite. Chaque entretien peut ainsi comptabiliser 12 clics et servent à nos dirigeant à suivre la traçabilité de nos actes professionnels tel un produit ou un matériau afin de les évaluer. Ces mêmes dirigeants nous adressent régulièrement des rappels sur les objectifs à atteindre « il nous faut tant de prescriptions pour tel ou tel dispositif (taux de remplissage du dispositif Garantie jeune par exemple le tout accompagné d’un objectif quantitatif à réaliser par conseiller)...il en va des financements de la structure...donc de la rentabilité de la chaîne des actes professionnels.

Nous sommes très loin de l’accompagnement personnalisé qui d’antan portait le sens de notre mission déjà quasi impossible en 1981 où le taux de chômage frôlait pourtant à peine le million.

Mais ce « faible » nombre (comparé à celui d’aujourd’hui) nous permettait d’être à l’écoute. A cette époque il s’agissait d’entendre la demande ou de la faire émerger. Il y avait encore un peu du SUJET.

Nous étions centrés sur la personne et davantage en adéquation avec les projets à mettre en œuvre. La créativité dans nos missions était de mises. Nous avions de l’initiative et cela nous portait. Ce que nous faisions avait du sens. L’ambiance au travail était aussi plus joyeuse.

Aujourd’hui le découragement domine avec ses graves conséquences : l’inertie, le laisser-aller, la politique de la patate chaude...un jeune un peu difficile et hop passe le à ta voisine...l’empilement des dispositifs conduit à ce type de pratique professionnelle. Comme ceux sont les clics qui comptent, peu importe le contenu et le sérieux et l’engagement dans le travail. L’évaluation quantitative au détriment d’une réflexion sur le qualitatif a mené à ce type de pratique car seuls les chiffres importent. Un clic = une action et quelle action !!!! Il en est de même des demandes des jeunes personnes que nous tentons d’accompagner qui adoptent en corolaire une posture « de consommateurs de dispositifs : on m’a dit que j’avais droit à cela ou encore est-ce que vous m’avez bien versé mon allocation…Certes les sommes sont dérisoires mais c’est davantage la posture qui interroge. Bon ce n’est pas le sujet de ce texte mais un effet il me semble de ce que le travail social subit.

Un autre symptôme non moins significatif : des offres d’emploi à profusion et plus récemment une offre de formation qui peinent à être pourvues. Ces offres et les jeunes ne se rencontrent plus...Ces offres pour le moins visibles et récurrentes justifient le travail de ces conseillers « spécialistes de l’emploi ou de la formation ». S’en suit des relances incessantes de la part de ces collègues...mais bon sens que fait la police ? « Où sont vos jeunes ? ». Autre symptôme, car nos jeunes nous appartiennent...ils sont dans notre listing...ou notre portefeuille...telle une agence d’assurance ou bancaire. Décidément le chiffre persiste…

Nos offres d’emploi et les programmes de formation ne trouvent pas preneurs car ils sont avant tout-là pour servir le secteur marchand. La précarité d’emploi persiste dans son contenu et non dans son volume : temps partiels, emplois peu attractifs aux conditions de travail difficiles auxquelles la jeune génération ne veut pas ou ne peut pas se soumettre. Il y a un décalage entre une société « ultra marchande » qui ne cesse de nous abreuver de nouveaux besoins de consommation et des jeunes qui baignent pour une grande majorité (malgré leur niveau de pauvreté) dans un « idéal » de consommation où tout est accessible et qui ne peuvent par conséquent consentir à s’inscrire dans des emplois mal rémunérés et peu valorisants. Subsistent un fossé entre leurs aspirations (et l’illusion marchande dans laquelle ils grandissent) et la réalité. Les petits boulots c’est pour eux !

Nous sommes en période pré-électorale et l’argent coule à petits flots avec son nouveau lot de dispositifs...

On ne parvient plus à répondre à la demande ni à celle des jeunes ? Que se passe-t-il ? D’où une interrogation de plus en plus pressante : le sens du travail en mission locale ?

Nous sommes par ailleurs le réceptacle de toutes les demandes qui n’ont pas trouvées preneur ailleurs. Les jeunes sans formation qualifiante, les jeunes sans famille, les jeunes sans ressources, les jeunes sans logement, les jeunes sans diplôme, les dysorthographiques, les dyslexiques, les « dyscalculiques » et plus récemment les migrants en provenance du continent africain et d’ailleurs, les sans patrie, en un mot tous les sans sont pour nous. Et pas de SENS. On navigue à vue et on pallie au plus urgent : la demande sociale et financière et sa pléthorique actes administratifs consommateurs de temps et d’énergie. Mais seul les clics comptent et servent à quantifier et évaluer nos actes professionnels.

Autre problématique : une majorité des jeunes « accueillis » sont dociles mais aussi très passifs. A l’issue d’un entretien il n’est pas rare que je me sente « fatiguée, éreintée tant l’inertie (là aussi que j’ai en face de moi) est pesante. Je me montre active ; je cherche vainement une offre d’emploi ou autre solution qui pourrait correspondre ou encore je modifie un CV (curriculum vitae) tentant de requérir la participation de la personne concernée laquelle est occupée à consulter ses SMS ou à y répondre...Dans cet instant nous sommes très éloignés l’un de l’autre et pourtant très proche  - un bureau fixe notre limite séparative...et un plexiglass depuis peu...j’oubliai le masque… - mais nous ne sommes pas dans la même réalité…Ou peut-être que si ? Une réalité de plus en plus virtuelle et dénuée de sens commun. Il y a un blême mais d’aucuns ne souhaitent s’y attarder.

Ces deux questions sont au centre de ma préoccupation en cette fin d’activité professionnelle.

Je me dis il y a la distance de l’âge : deux générations nous séparent, parfois trois. Ceci explique en partie cela. Mais j’observe l’attitude de mes jeunes collègues qui déjà sont lassés de leur « métier » - si tant est que l’on puisse parler de métier- mettant en œuvre des conduites d’évitement pour se protéger et y faire face (pause à rallonge notamment, critique envers la direction à tout va...souvent justifiées mais qui servent aussi d’exutoire).

Le travail social va mal. Ce n’est pas nouveau mais je crois que les métiers du social et médico-social en général déjà en grande souffrance depuis un moment sont en voie de disparition. Ces « métiers » n’attirent plus : d’ailleurs entre nous, nous nommons les « prolétaires de l’insertion » signe comme le souligne R.Gori de la « paupérisation de nos métiers ». Et je crains que les « fantassins » que nous sommes ou que nous étions de l’intervention sociale comme le soulignait déjà J.Rouzel en 2009, n’aient plus beaucoup d’armes pour « se battre ». Que reste-il aux « travailleurs sociaux en mal de reconnaissance » pour se faire entendre ?

La formation permanente pour résister dirait encore Joseph Rouzel. Oui mais laquelle ? Seule possibilité un catalogue de formation identique à un catalogue de jouets obligeant les uns et les autres à opérer un choix. Là aussi il faut cliquer, s’inscrire ? Sans choix personnel...possible au-delà d’un choix imposé. Vos désirs de formation autre restent lettre morte. Le désir est annihilé…La normalisation de nos métiers ne laisse plus guère de place à l’inventivité. Il y a encore dirait R.Gori une «  confiscation de la pensée même de l’acte professionnel ».

Le soutien aux accueillants autre instance de formation possible (sorte de supervision trimestrielle) est le défouloir et le dépotoir des insatisfactions et autres plaintes...elle sert aussi à fuir le travail et sa routine...taux de remplissage ok pour le coup...bien sûr cela arrange tout le monde...ce symptôme n’est pas interrogé. Est-il seulement perçu ? Résultat : les conseillers ne se sentent plus écoutés donc ils « utilisent » cette instance pour déposer leurs plaintes et y trouvent une écoute attentive ou attentiste ? A leur tour ceux sont les jeunes qui trinquent. Ajouté à cela une misère socio-économique et socio-culturelle qui ne cessent d’augmenter et qui finit par boucher les oreilles des écoutants que nous sommes.

Ce qui hier pouvait signifier une promotion sociale est aujourd’hui devenue « rebutante ». Nous sommes gagnés par le manque de sens de nos missions.

Pour preuve, au sein de la Mission Locale où je travaille les recrutements (qui jadis tenait compte d’une expérience minimum dans le secteur social – on parlait alors d’implication et d’engagement - ou d’un diplôme dans ce secteur) s’opèrent au niveau d’un spectre beaucoup plus large (secteur économique - de la communication ) ou très restreint (un centre de formation national très connu « forme » directement des conseillers prêts à l’emploi en un minimum de temps). Il faut appliquer des procédures, c’est à présent la compétence de base transversale. Une proposition = un clic.

L’analyse et la réflexion sont l’apanage des chefs de projets (encore que ?) et de la direction qui répondent aux opportunités d’appels à projets. Il conviendra pas la suite d’attendre leurs injonctions paradoxales pour les mettre en œuvre : les projets n’émanent pas de l’analyse des besoins constatés sur le terrain mais des préconisations d’en haut dont on se demande d’où elles proviennent. Et ils s’étonneront que nous ne parvenons pas à « remplir » leur dispositif. Quel paradoxe ? Alors que tant de jeunes frappent à notre porte ? En définitif nous sommes vraiment de mauvais travailleurs. Et ainsi les notes des services affluent « chaque conseiller devra d’ici la fin de l’année orienter x jeunes ».

L’impuissance domine nos métiers, leurs non reconnaissance. Pouvons-nous dire encore que nous servons à maintenir la paix sociale ? Je n’en suis pas sûre. L’économie de marché et sa voracité balaye tout sur son passage. C’est l’extinction programmée du travail social. Vous l’aurez compris je suis très pessimiste en ces temps de famine sociale... Nous sommes dans une économie de plus en plus virtuelle et qui rend nos « métiers » obsolètes », « virtuels » à leur tour.

Ainsi que l’analyse aussi R.Gori le tout évaluation a gangrené le secteur médico-social dans son ensemble. La promptitude avec laquelle nos dirigeants répondent depuis longtemps déjà au doigt et à l’œil aux injonctions politico-administratives de toutes sortes pour être dans « le mouv » interroge sur un changement de cap éventuel dans l’avenir. Plus personne ne résiste. Tout un chacun se soumet. L’obéissance est de mise. Il n’y a plus d’espace pour la contradiction. Et si tu as le malheur d’oser une réflexion sur le fond on te ramène bien vite à ta mission première non sans un détour parfois chez ta directrice qui « t‘admoneste ». Que s’est-il passé ? Telle une gamine tu es sommée de te tenter une réponse mais tu sais d’avance que tu ne seras pas écoutée et que ta présence à l’instant présent a pour objectif l’humiliation et la non reconnaissance de ta parole. On te fait comprendre au passage qu’avec tel ou tel partenaire il convient de « collaborer ». Ce terme retentit assez mal à mes oreilles...mais pour le coup il est approprié… Moralité, tu ne dois pas résister mais te soumettre. Le pire c’est que ce genre d’intimidation fonctionne. «  Servitude volontaire  » dirait encore RGori ». Tout le monde se tait et fait semblant de travailler...mais plus personne n’y croit. La position éthique est sanctionnée. L’éthique mais de quoi parles-tu ?

La crise sanitaire n’a fait qu’amplifier le phénomène. Les réunions institutionnelles déjà en mode vertical : informations exclusivement descendantes sont désormais en visioconférence où la place de la parole est plus que réduite voire les interactions fruits d’un débat éventuel, inaudibles. Circulez il n’y a plus rien à voir. D’ailleurs pour échapper à cette mascarade « réunionnite » certains visages ne se montrent plus. On a pris l’habitude de s’effacer...avec les masques vous me direz. Mais la visioconférence à ceci de pratique qu’elle permet de se rendre invisible tout en répondant présent. Un peu de visages et beaucoup de noms connectés histoire de dire je suis présente. On fait semblant... On peut ainsi vaquer à d’autres occupations en déplaçant son ordinateur portable d’un endroit à un autre (si ladite réunionnite se déroule le jour où vous êtes en télétravail) au cas où...Plus de parole, plus de débat d’idées...exécutez sans mots dire et sans « maudire ».

Alors le télétravail une aubaine ? Oui même si au début cela fut difficile et a nécessité un temps d’adaptation. Plus de déplacements inutiles, horaires beaucoup plus flexibles, moins de pressions etc Moins de contact avec les jeunes hormis par téléphone donc plus confortables selon les situations. On branche son ordinateur à l’heure convenue...Tout ceci est bien cynique mais réel. Le découragement, l’impuissance, la non reconnaissance trouvent ces travers dans le télétravail.

Drôle d’époque. Que va- t-il en rester ? Nos métiers vont- ils y survivre ?

La base de notre métier qui était la relation, le lien social se sont petit à petit amenuisés laissant place aux procédures, aux dispositifs (terme pour le moins abscons).

La crise sanitaire n’a fait qu’amplifier le phénomène s’inscrivant de fait dans une logique de dématérialisation déjà bien engagée où le digital a pris la main sur le relationnel. Tout peut se faire en ligne...sans parole…sans lien...sans Sujet ? Côté du public jeune c’est la même chose ils sont conviés à des Web conférences, à des Web ateliers dont l’unique but est de leur faire part des attentes du secteur marchand : déficit de recrutement dans tel ou tel secteur. Ils n’ont même plus besoin de s’adresser à un conseiller, ils peuvent s’inscrire directement sur facebook. Ce qui s’évalue c’est ce qui se voit, ce qui bouge : la communication virtuelle, les effets d’annonce de toute sorte. Le public jeune est pris en otage...il fait nombre à défaut de faire sens.

C’est ça qui compte. C’est le progrès parait-il ? Mais comme le souligne si bien B.Stiegler le progrès ne saurait se limiter à la prouesse technologique...et l’humain dans tout ça ? Il avait en partie disparu de la scène mais sous le masque il ressemble à une marionnette.

Alors des J.Rouzel et des R.Gori nous invitent malgré tout à ne pas se laisser attirer par le catastrophisme et à RESISTER et nous invitent par leur engagement respectif à nous réinventer et à être créatif. Résister pour ne pas succomber.

Ce texte bien sûr n’engage que ma personne. Christiane Bigot – Conseillère emploi Mission Locale et Psychologue de formation (intervenante en Ehpad)

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01/01/1967

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